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Raconte-moi ton engagement écolo, je te dirai d’où tu viens…

Trois portraits d’écolos françaises pour penser l’écologie au prisme de la diversité sociale

Pour toi, ça veut dire quoi être écolo en France aujourd’hui ? On te propose trois récits de vie pour montrer la diversité des pratiques qui peuvent exister sur ce sujet.

Source : StockSnap

Tout d’abord, rencontre Alexandra. Elevée dans une famille de classe moyenne dans la banlieue lyonnaise, elle obtient un master dans le secteur de la coopération internationale et travaille à Paris comme évaluatrice de programmes liés à l’égalité homme/femme menés par des ONG. Tous les ans, elle va à la marche pour le climat. Enfin, quand elle est en France à ce moment-là, parce qu’elle va souvent au Kenya et à Madagascar pour des missions. Bien qu’elle essaie de limiter l’avion, il lui arrive aussi de l’utiliser pour partir en vacances, comme l’an dernier lorsqu’elle a fait du backpacking pendant presque un an en Amérique latine. Alexandra a aussi arrêté la viande rouge, mais elle a plus de mal à arrêter la volaille et le poisson. Très engagée sur les enjeux environnementaux, elle a fondé une association qui organise des conférences en ligne pour donner le micro aux communautés indigènes, et en particulier des femmes, sur ces questions.

Voici maintenant Ainoa. Fille d’agricultrice vivant à la frontière basco-béarnaise (l’extrême Sud-Ouest de la France, si tu connais pas), elle vient de reprendre l’exploitation agricole de son père. Elle y produit du maïs, des kiwis, et avec son mari elle va se lancer dans le lait de brebis. Le label bio pour ses kiwis, elle y a pensé, mais finalement elle continue à travailler selon le cahier des charges du label rouge qui implique déjà de limiter les apports d’engrais, l’irrigation et les pesticides. Récemment, elle s’intéresse à la permaculture et s’y essaie dans son potager. L’an dernier, elle a visité Paris pour la première fois avec ses amies du club de basketball et s’est bien amusée, mais elle était contente de retrouver sa grande maison. Pour elle, la politique c’est beaucoup de blabla et peu d’action. Les vrais décisions, elles sont prises sur place, et c’est pour ça qu’elle est devenue conseillère municipale de son village. Un jour, peut-être qu’elle deviendra mairesse…

Enfin, on te présente Louane. Élevée dans une famille aisée d’Angers, Louane a fait des études en communication. Petite, ses vacances c’était road trip en camping-car en Nouvelle Zélande et trekking dans le parc du Yosemite en Californie. Ses parents lui ont toujours montré la magnificence de la nature. Après ses études, elle part en backpack en Asie du Sud-Est et lorsqu’elle en revient, elle s’installe avec sa copine Anaïs à Angers. L’écologie, ça l’a toujours travaillée, mais c’est Anaïs qui l’a réellement convaincue de changer son mode de vie. Aujourd’hui, elle n’a plus pris l’avion depuis 5 ans, elle fait son lombricompost qu’elle utilise sur une petite parcelle d’un jardin partagé, elle est végétarienne, achète local… Et elle a convaincu sa famille d’aller camper dans les Pyrénées cet été, plutôt que de partir en Tanzanie ! Elle vote écolo, mais ne suit pas beaucoup la politique. Son rêve, c’est d’intégrer un habitat collectif dans la campagne angevine. Certes, elle aurait à prendre la voiture quand elle ira travailler en présentiel, mais comme ça elle pourra enfin avoir son propre jardin !

 

Alors, c’est qui la plus écolo pour toi : Alexandra, Aïnoa ou Louane ?

Si être écolo c’est avoir l’empreinte écologique la plus faible, alors c’est Aïnoa qui gagne haut la main. Elle n’a jamais pris l’avion, mange de la viande dans la limite que lui autorise son budget et achète peu de vêtements et autres biens de consommation. Aussi, elle a profité d’une campagne gouvernementale pour mettre des panneaux solaires sur le toit de sa ferme. En plus d’être celle qui a pollué le moins durant sa vie, elle est aussi celle affectée le plus par le réchauffement climatique : les sécheresses estivales de plus en plus fortes la contraignent à irriguer de plus en plus ses cultures et lui ont fait perdre 20% de sa production cette année.

Si on regarde à l’instant T par contre, c’est Louane qui l’emporte. Sa vie en appartement, son végétarisme et ses gestes écologiques du quotidien ont porté leurs fruits : elle se situe bien en dessous de la moyenne française en termes de production de CO2. Avec son travail dans la vulgarisation d’études scientifiques sur l’écologie, elle sensibilise les gens de son territoire et en amène d’autres à changer leur comportement. Sa boîte a même accompagné la Région Pays de la Loire dans la conception de leur plan de développement durable. Petit à petit, elle diffuse son engagement individuel à l’échelle collective de son territoire…

Enfin, si on analyse l’écologie au niveau sociétal, alors c’est sans doute Alexandra qui l’emporte. Récemment, son bureau d’étude associatif a été missionné par le Ministère de la Transition écologique pour produire une étude sur la thématique genre et climat. Elle en a profité pour organiser une série de colloques internationaux, notamment avec des représentantes de mouvements de femmes indigènes de tous les continents. Son étude intersectionnelle et transnationale a suscité un tel engouement médiatique que le gouvernement français s’est engagé à interdire aux entreprises françaises tout projet à l’international considéré comme bombe écologique et/ou nuisibles aux communautés locales, mais aussi à porter un plaidoyer au niveau européen et onusien pour adopter des résolutions dans ce sens (OK, on rêve un peu là).

 

 
Pancarte “Climate Justice Now”. Source : Markus Spiske
 

Avec ces trois portraits, on voulait te présenter trois différents profils d’écolo :

Alexandra, c’est celles et ceux qui militent pour de grands changements sociaux et environnementaux, mais sans forcément changer leurs propres pratiques. Pour elles et eux, les éco-gestes sont anecdotiques et c’est aux gouvernements de prendre des engagements pour diriger nos sociétés vers des modes de vie durables, mais aussi justes et solidaires.

Louane, c’est l’exemple type de success story chez les écolos. Conscientisation à l’écologie, changement radical de mode de vie, engagement fort individuel et professionnel… Son alignement représente un modèle auquel aspirent beaucoup d’écologistes. Mais son parcours rappelle aussi que ce sont les classes supérieures qui polluent le plus, et ce malgré leur conscience des enjeux écologiques. Même si ses parents lui ont transmis un amour de la nature, de fait leurs vacances étaient très polluantes.

Ainoa, c’est celles et ceux qui ne se disent pas forcément écolos, mais qui pourtant polluent généralement le moins. Une étude du CREDOC (c’est le Centre de Recherche pour l’Étude et l’Observation des Conditions de Vie) montre que le niveau de vie influence davantage notre empreinte écologique que notre niveau d’étude ou notre sensibilité à l’écologie. Les classes moyennes supérieures et aisées polluent généralement plus que les classes les plus pauvres, même si ces premières déclarent davantage se préoccuper de l’environnement.

Sans idéaliser les personnes comme Ainoa, son exemple sert à noter qu’il existe un certain entre-soi chez les militant.e.s écologistes (profil plutôt urbain, issu de classe sociale moyenne et supérieure) qui de fait capte mal la diversité des discours et pratiques des agriculteur.rice.s, des habitant.e.s de la campagne, des ménages pauvres, des habitant.e.s des quartiers dits populaires et autres personnes souvent exclues des sphères de décisions politiques relatives à la lutte environnementale.

Un grand nombre de français.es ne se retrouve pas forcément dans les débats écologiques, voire en sont exclu.e.s. Pourtant, c’est souvent elles et eux qui subissent de plein fouet le réchauffement climatique et les différentes pollutions de l’air, des sols et des eaux.

Dans un article intitulé L’écologie peut-elle être populaire ?, la politologue Anne le Strat note : “Alors que la crise sociale et la crise environnementale sont indissociablement liées, les revendications écologistes peinent à acquérir une crédibilité sur les questions économiques et sociales.”

Une écologie qui promeut le parcours de Louane, mais qui ignore les difficultés d’Ainoa est une écologie classiste, qui passe à côté des préoccupations d’une portion importante de la population. On pourrait dire en résumé que le projet écologiste est et restera limité s’il ne parvient pas à inclure la diversité des voix d’une société, et à leur proposer des réponses pertinentes, mais aussi équitables, aux préoccupations environnementales de chacun.e.

Il nous faut donc sans doute des personnes comme Alexandra pour penser l’écologie en lien avec la solidarité internationale et des gens comme Louane pour porter la transition écologique des territoires. Mais il faut également apporter une attention particulière à celles et ceux qui, comme Ainoa, subissent le plus violemment les conséquences du dérèglement climatique. La justice environnementale ne peut être atteinte que si elle inclut une justice sociale.

 

Ce que nous cherchons aussi à mettre en lumière avec nos trois portraits, c’est qu’il existe une grande diversité de types d’écolos. Certain.e.s se concentreront sur l’adoption d’éco-gestes, et d’autres sur un militantisme politique. Certain.es auront des modes de vie exemplaires, d’autres non.

Les figures comme Alexandra peuvent poser débat : ne faut-il pas d’abord s’imposer à soi-même ce qu’on voudrait voir pour le reste du monde ? Il s’agit là d’un vrai débat dans le milieu écolo. Le journaliste engagé Hugo Clément disait en septembre 2022 au micro de France Inter :

“Il est plus efficace d’avoir des millions de personnes qui demandent aux politiques d’agir et qui diminuent leur impact sur l’environnement, tout en n’étant pas parfaits, que d’avoir quelques milliers de gens exemplaires mais très minoritaires.”

Et pour toi, alors, c’est quoi l’engagement écologique ? Comment penses-tu que ton milieu social influence ton engagement ? Raconte-nous ton parcours, ou bien un parcours qui t’inspire !

 

Les écolos : des millions de gouttes d’eau dans l’océan ? Photo : Thomas Cytrynowicz

Les trois profils décrits dans cet article sont fictifs. Texte rédigé par Amaël Cognacq et édité par Nouma Khaznawi, membres de l’association Eco-Habitons.