Racisme et inégalités face aux aléas climatiques :
quelles sont les populations touchées ?
Par Nouma KHAZNAWI
Nous avons vu, grâce au précédent article, que les populations les plus aisées financièrement étaient généralement celles qui émettaient le plus de CO2. Ainsi, selon un rapport OXFAM, les 50% les plus pauvres ne seraient responsables que de 7% des émissions de CO2 cumulées, soit 4% du budget carbone disponible. Par ailleurs, les inégalités sociales sont tout aussi importantes en termes d’exposition aux risques et aux aléas climatiques. Cela vaut aussi bien pour les inégalités de genre, de classe ou de race, avec des nuances plus ou moins importantes selon les territoires où s’établissent de tels aléas.
À l'échelle mondiale
Le réchauffement climatique nous affecte tous et toutes, mais plus particulièrement les populations des Petits États Insulaires et des régions côtières, désertiques, montagneuses et polaires en raison de leur sensibilité à l’impact de la montée des eaux, la désertification et la fonte des glaciers. Il affecte aussi davantage les populations des pays en développement qui ont généralement des capacités de résistance plus faibles aux catastrophes naturelles induites par le réchauffement climatiques : bâtiments résistants aux tempêtes, ouragans et tsunami, accès à des ressources financières d’urgence, résilience des systèmes alimentaires, médicaux et éducatifs… Enfin, au sein même d’une population, certains groupes sont plus vulnérables que d’autres au réchauffement climatique, de par l’espace qui leur a été octroyé, la qualité de leur logement, leur occupation ou leur niveau d’éducation. Un rapport du Parlement européen expose par exemple que les femmes ont “un taux de surmortalité jusqu’à 5 fois supérieur aux hommes dans les situations de catastrophe naturelle”.


Ce racisme environnemental peut même s’étendre au-delà des frontières, comme le montre l’affaire de l’agent orange, épandu en quantités monumentales par l’armée de l’air américaine sur les forêts vietnamiennes entre 1961 et 1971, et pour laquelle sont encore demandées de multiples réparations.
À l'échelle nationale
Aux Etats-Unis, le racisme environnemental est particulièrement ancré dans la conscience populaire. De nombreuses études furent menées depuis les années 90 sur le sujet, à commencer par celle menée en 1987 par United Church of Christ Commission for Racial Justice, intitulée Toxic Waste and Races in the United States: A national report on the racial and socio economic characteristics of communities with Hasardous waste sites. Nous pouvons aussi mentionner l’étude de l’ONG Clean Air Task Force, selon laquelle un Noir américain respirerait en moyenne un air 38% plus pollué qu’un Blanc. Parmi les principales injustices dénoncées, on constate une surexposition des quartiers majoritairement peuplés par une population noire aux pollutions liées au trafic automobile, mais aussi aux catastrophes naturelles : parmi les victimes de l’Ouragan Katrina qui toucha la Nouvelle Orléans en 2005, les personnes noires représentaient 82% des victimes parmi les moins de 65 ans. Les populations amérindiennes sont également très touchées par le racisme environnemental, en témoigne l’affaire du Dakota Access Pipeline, oléoduc menaçant l’approvisionnement en eau des tribus sioux, sur des terres jusqu’alors considérées comme sacrées.
Pour le révérend Michael Malcom, directeur d’Alabama Interfaith Power and Light, une organisation religieuse engagée contre la crise climatique et le racisme environnemental, la connexion entre les deux combats est pourtant évidente et se résume en une phrase : « Je ne peux pas respirer. » Les derniers mots soufflés par George Floyd, écrasé sous le genou du policier qui l’a tué, sont valables dans une multitude de situations :
« Qu’il s’agisse de la pression ressentie à travers une politique, de la violence que nous subissons de la part de ceux qui sont supposés nous protéger ou de la brutalité à laquelle nous faisons face à cause de la pollution », la réponse a toujours été « je ne peux pas respirer », indique-t-il au site NBC News.
Et en France ?
Nous le savons, la République Française se veut unie et indivisible devant la loi, et donc indifférente aux couleurs de peau. Il existe ainsi un véritable refus d’essentialiser les “races”, dont le mot a d’ailleurs été supprimé de la Constitution en 2018. A la différence des Etats-Unis, toutes les études et statistiques ehthno-raciales sont fortement restreintes en France.
Si les races sont invisibles, le racisme est pourtant bel est bien présent sur le territoire, et est même en constante augmentation ces dernières années : 5 730 crimes et délits de nature raciste ont été enregistrés en 2019, soit une hausse de 11% par rapport à 2018, d’après une étude de la CNCDH.
Cependant, en ce qui concerne l’écologie, il est compliqué de parler de racisme environnemental en France, car l’absence de variable ethno-raciale dans les statistiques françaises bloque la possibilité d’une grille de lecture qui se veuille intersectionnelle.
On préfèrera donc utiliser le terme d’inégalités environnementales, plus à même de représenter les constructions sociales propres à la République française et à ses différents différents territoires. Au cœur de celles-ci, ce sont les inégalités liées à la santé des habitants qui sont le plus dénoncées dans les différentes études liées à ce sujet. Exposition aux pollutions, aux nuisances, aux bruits, aux produits chimiques sont autant de facteurs qui touchent particulièrement les territoires les moins aisés.
La répartition de la population dans la ville de Paris en est un exemple flagrant. En effet, en raison des vents soufflant principalement d’ouest en est, il a été décidé au XIXème siècle, en pleine période d’industrialisation, de protéger les quartiers bourgeois des fumées industrielles et de placer les populations ouvrières et immigrantes au nord-est de la ville. Encore aujourd’hui, les quartiers nords sont les plus soumis aux nuisances, avec notamment l’autoroute A1, en Seine Saint Denis, qui reçoit près de 200 000 voitures par jour. A cela s’ajoute une plus forte exposition aux fortes chaleurs, en raison de la hauteur des immeubles, du bétonnage et de la faible végétation, ainsi qu’une d’une mauvaise isolation et d’une mobilité réduite. On assiste ainsi depuis peu à une véritable mobilisation dans les quartiers populaires, avec par exemple l’émergence des Toxic Tours visant à démontrer les dégats environnementaux de certains aménagements ou le rassemblement “On veut respirer” organisé en juillet dernier par les collectifs Génération Climat et Génération Adama.
Parmi les populations touchées par les inégalités environnementales, les gens du voyage sont également particulièrement touchés. D’après un article de Libération, “sur les 1 358 aires d’accueil répertoriées en France destinées aux personnes vivant dans une habitation mobile, 51 % sont polluées. Localisés à proximité de déchèteries, de stations d’épuration, d’usines ou encore de voies ferrées, ces espaces rendus obligatoires par une loi de 1990 pour les communes de 5 000 habitants exposent leurs résidents à de lourdes nuisances environnementales et industrielles.”
L’auteur et juriste William Acker a ainsi recensé toutes les aires d’accueil de France, afin de mesurer leurs proximité aux sources de nuisance et installations polluantes. Parmi les résultats de son enquête, il évoque dans ce même article plusieurs exemples affligeants : “Des aires d’accueil ont même été installées à des endroits où on a refusé la création de chenils en raison de la toxicité de l’environnement. À Petit-Quevilly (Seine-Maritime), les déchets industriels jetés depuis plusieurs années près d’une aire contenaient plus d’une tonne d’amiante. A Gex (Ain), l’aire d’accueil est située entre deux carrières et subit le dépôt d’incinérations illégales de déchets dangereux. Aujourd’hui, beaucoup de gens du voyage qui vivent dans ces lieux se plaignent de maladies pulmonaires et de problèmes de peau. Selon plusieurs études, ils ont une espérance de vie inférieure de quinze ans en moyenne.”.
Le cas du chlordécone en Outre Mer
Perturbateur endocrinien reconnu comme neurotoxique, reprotoxique (pouvant altérer la fertilité), et classé possible cancérogène dès 1979 par l’Organisation mondiale de la santé. La France ne l’a interdit qu’en 1990 mais a toutefois autorisé son utilisation aux Antilles jusqu’en 1993 à l’aide de dérogations signées par les ministres de l’agriculture de l’époque.
Toutes ces injustices liées au genre, au rapport de classe, de race, Nord/Sud ou encore métropole/outre-mer ne sont pas des exemples anecdotiques et isolés. En effet, ces inégalités prouvent que l’écologie est tout autant un domaine de lutte sociale que la santé, l’éducation ou l’accès à la justice. L’écologie s’infiltre même dans tous ces débats sociaux et apporte avec elle de nouvelles clés d’analyses pour comprendre les discriminations intersectionnelles (de classe/race/genre) et multisectorielles (liées à la santé, l’emploi, le logement).
Cet article est le deuxième d’une série d’articles sur l’importance de prendre en compte les enjeux sociaux intersectionnels dans les conversations écologiques. Cette série est rédigée par les membres de l’association Eco-Habitons qui vise à promouvoir la diversité des discours et des pratiques écologiques. N’hésitez pas à commenter nos travaux et à nous contacter si vous avez des questions, critiques, ou voulez en apprendre davantage sur nos activités et nous rejoindre !