Le lexique

Retrouvez le lexique de l'association Éco-habitons.

#Lab 1 : La place de l'écologie dans l'intersectionnalité

L’anthropocène est une nouvelle notion très débattue au sein de la communauté scientifique. Construite à partir du grec ancien “anthropos” (être humain), et “kainos” (récent), elle signifie que l’époque géologique dans laquelle nous nous trouvons actuellement, caractérisée par le réchauffement climatique, serait le fruit de l’action humaine sur la planète. 

Pour les défenseurs de l’anthropocène, les activités humaines seraient donc devenues si importantes et généralisées qu’elles rivaliseraient désormais avec les grandes forces de la nature, faisant évoluer la planète vers une moins grande biodiversité et un dérèglement climatique sans précédent.

Pour plusieurs scientifiques, cette notion mériterait cependant d’être redéfinie, car elle  ne concernerait qu’une partie de la population mondiale. En effet, elle ferait uniquement référence à la construction occidentale du rapport de domination de l’homme sur son environnement, justifiant de l’exploitation abusive des ressources naturelles. 

Ce rapport de domination, pourtant loin d’être partagé par d’autres communautés mondiales, constituerait la cause du réchauffement climatique actuel.

Pour remédier à l’homogénéité du concept, et attribuer des causes plus précises à la dégradation environnementale mondiale, plusieurs autres termes furent proposés par certains chercheurs, dont voici deux exemples:

  • Plantationocène : (A. TSING et D. HARAWAY) : “désigne la transformation dévastatrice de divers types de fermes, de pâturages et de forêts entretenues par l’homme en plantations extractives et fermées, reposant sur l’esclavage et d’autres formes de travail exploité, aliéné et généralement transporté dans l’espace”
  • Capitalocène (A. MALM) : la formation historique des économies capitalistes seraient responsables de la transformation du climat, en faisant de la consommation un but en soi.
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Pour en savoir plus : 

L’ouvrage de Guillaume Blanc, Invention du colonialisme vert, en finir avec le mythe de l’éden africain nous permet d’illustrer comment la vision occidentale de la nature fut “exportée” à l’échelle du continent africain tout entier, par le biais de la colonisation puis des politiques internationales de conservation. Cet “éden africain”, c’est l’idée selon laquelle l’Afrique serait originellement un espace vierge et sauvage, préservé de toute civilisation, où la nature et les animaux règnent en maître. Ainsi, pour les explorateurs et voyageurs coloniaux, la savane africaine n’est que le reste d’une forêt “primaire”, dégradée par les autochtones, et dont la préservation repose uniquement sur l’intervention occidentale. C’est dans ce contexte que sont créées les premières réserves de chasses et que l’on commence à exproprier des milliers d’habitants de leur territoire ; « en faisant porter aux Africains la responsabilité des dégâts causés par les Européens, l’État et les colons peuvent continuer de nier l’évidence : pour sauver la nature, ils devraient la protéger du capitalisme, le leur ». 

Dans son livre, Guillaume Blanc nous explique comment ce colonialisme vert a resisté aux indépendances, et fut réapproprié par les organismes internationaux de conservation tels que l’UNESCO, le WWF ou encore l’UICN. Ces organismes, sur la base de rapports approximatifs incriminant l’agropastoralisme comme principale cause de dégradation des sols et de l’environnement, convertissent ces mêmes réserves de chasse en parcs naturels, et continuent d’expulser les populations locales, au profit du tourisme bénéficiant aux dirigeants africains. Guillaume Blanc parle ainsi de “déshumanisation” des parcs naturels africains, traduite par une criminalisation de millions d’agriculteurs et bergers: 

“Le colonialisme vert c’est l’entreprise qui consiste à naturaliser l’Afrique par la force c’est-à-dire que plutôt que de résoudre la crise écologique comme elles le font en Europe des institutions comme l’Unesco, le WWF, L’UICN, s’efforcent de naturaliser l’Afrique c’est-à-dire de déshumaniser la nature.”

Guillaume Blanc

Le chlordécone est un pesticide ultra toxique utilise massivement de 1972 à 1993 dans les bananeraies pour aider à lutter contre le charaçon du bananier (insecte qui détruisait les cultures). Il est aujourd’hui au coeur d’un procès historique. 

Perturbateur endocrinien reconnu comme neurotoxique, reprotoxique (pouvant altérer la fertilité), et classé possible cancérogène dès 1979 par l’Organisation mondiale de la santé. La France ne l’a interdit qu’en 1990 mais a toutefois autorisé son utilisation aux Antilles jusqu’en 1993 à l’aide de dérogations signées par les ministres de l’agriculture de l’époque.

Aujourd’hui, le chlordécone est une véritable problématique pour les Antilles. En effet, dans les années 2000, il a été découvert que le pesticide passait dans la chaîne alimentaire et avait contaminé l’ensemble de la faune et la flore ainsi que la population elle-même. 

La quasi-totalité des 800 000 habitants de la Guadeloupe (95 %) et de la Martinique (92 %) sont aujourd’hui contaminés, comme le révèle une étude menée pour la première fois à grande échelle par Santé publique France

Pouvant causer de sévères troubles neurologiques et testiculaires si l’on y est exposé à forte dose, le chlordécone augmente également le risque de prématurité, de cancer de la prostate et possède également des effets négatifs sur le développement cognitif et moteur des nourrissons.

Deux plaintes furent déposées en 2006 et 2007 pour déterminer quelles étaient les responsabilités dans ce désastre. L’une d’entre elles, déposée en 2006 pour empoisonnement au chlordécone, est aujourd’hui soumise à la prescription qui est de 20 ans pour ce type de crime.

Une quarantaine d’associations, de syndicats, de partis politiques martiniquais, ainsi que des personnalités, comme le chanteur Joey Starr ont appelé à une mobilisation en février dernier. Celle-ci a rassemblé entre 10 000 et 15 000 personnes en Martinique selon les organisateurs.

C’est dans ce contexte que les associations mobilisées en Martinique envisagent de saisir la Cour européenne des droits de l’homme si la plainte auprès de la justice française n’aboutit pas.

 

Pour aller plus loin : 

Le monde, Faustine Vicent : “Scandale sanitaire aux Antilles : qu’est-ce que le chlordécone ?”

Franceinfo (1er mars 2021) : “Scandale du chlordécone : on vous explique pourquoi la Martinique et la Guadeloupe se mobilisent contre “l’impunité” 

Le monde (Youtube) : “Chlordecone : Le scandale sanitaire expliqué.”

Le mot écocide a pour racine « Eco » qui en grec « ΟΙΚΟΣ» signifie la maison et « cide » du latin « cidere » qui signifie tuer.

Le concept de crime d’écocide était déjà débattu en 1947 au cours de la Commission du droit international pour préparer le Code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. C’est en 1970, lors de la conférence sur la guerre et la responsabilité nationale, que le terme « d’écocide » fut employé pour la première fois par le biologiste américain Arthur Galston.

Arthur Galston le désigne alors comme: « la dévastation et la destruction visant à endommager ou détruire l’écologie de zones géographiques au détriment de toute forme de vie, qu’elle soit humaine, animale ou végétale »

Les cas d’écocide reconnus dans l’Histoire : 

– L’agent orange, défoliant toxique utilisé par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam. Près de 80 millions de litres furent déversés et plus de 2 500 000 hectares contaminés.

– L’affaire du Probo Koala en 2006 à Abidjan. Le bateau Probo Koala, affrété par la multinationale Trafiguara avait alors déversé des centaines de tonnes de déchets toxiques pestilentiels en divers points de la capitale économique ivoirienne.

À ce jour, le crime d’écocide n’est pas reconnu internationalement. Seulement une dizaine de pays ont intégré l’écocide dans leur code pénal national dont le Vietnam. La France n’en faisant pas partie. 

Source :

Khaznawi, N. (2021, 2 février). Le dernier combat de Tran To Nga – Éco-Habitons. Medium.

Santacroce, L. (2020, 29 juin). Crimes contre l’environnement : la difficile reconnaissance de l’écocide. Geo.fr.

Malgré sa popularité éditoriale, le concept d’écoféminisme reste relativement incompris par un grand nombre de personnes. Courant philosophique, mouvement militant, concept théorique, l’écoféminisme recouvre une grande variété d’idées et de pratiques. Au croisement de ces différents aspects se trouve une même affirmation : l’oppression des femmes et la surexploitation de la nature sont des phénomènes intimement liés.

Au-delà d’un concept théorique, l’écoféminisme est avant tout un mouvement contestataire qui prend naissance et révèle son essence dans des luttes variées : luttes antinucléaires, anti complexe militaro-industriel, contre la déforestation, l’extractivisme, pour le climat…

L’écoféminisme se revendique généralement comme un mouvement intersectionnel qui s’intéresse tout d’abord aux femmes, mais également aux questions de race, de classe et d’orientation sexuelle. Les approches développées par le mouvement offrent des outils de réflexions innovants pour critiquer l’association entre femmes et natures dans les représentations, pour désagréger des données sur les dégâts du réchauffement climatique et sur la lutte environnementale ou encore pour analyser la division genrée des responsabilités, des conséquences et des réparations vis-à-vis des enjeux climatiques contemporains.

Pour aller plus loin:

Pour en lire plus sur les luttes des écoféministes et découvrir les autres aspects de ce mouvement, vous pouvez lire l’article de Perrine et Elisa sur le sujet.

Plus d’information sur les outils de réflexion de l’écoféminisme et sur les passerelles qui existent avec d’autres courants d’écologie intersectionnelle dans cet article d’Amaël.

“L’écologie décoloniale articule la confrontation des enjeux écologiques contemporains avec l’émancipation de la fracture coloniale, avec la sortie de la cale du navire négrier. L’urgence d’une lutte contre le réchauffement climatique et la pollution de la Terre est imbriquée dans l’urgence des luttes politiques, épistémiques, scientifiques, juridiques et philosophiques, visant à défaire les structures coloniales du vivre-ensemble et des manières d’habiter la Terre qui maintiennent les dominations de personnes racisées, et particulièrement les femmes, dans la cale de la modernité. “

Malcom Ferdinand, Une écologie décoloniale

Le terme gentrification désigne à l’origine le processus de réappropriation par la classe moyenne des quartiers historiquement populaires des villes. Il a d’abord été utilisé par des chercheurs anglo-saxons dans le contexte des villes comme Londres et New York. Le concept a pris de l’importance par-delà ce contexte, pour qualifier les processus d’embourgeoisement qui prennent place dans des contextes variés à travers le monde. Il est également utilisé pour décrire des dynamiques suivant la réhabilitation d’anciens quartiers industriels. Dans sa thèse sur la gentrification à Paris intra-muros, Anne Clerval dénonce l’utilisation plus courante des termes comme régénération, rénovation ou bien renouvellement, qui masquent les questions sociales derrière ces transformations spatiales. À Rio de Janeiro, le terme est souvent utilisé pour décrire les montées de prix des loyers dans les favelas au profit du tourisme. Souvent considéré comme un processus qui s’inscrit sur le temps long, la gentrification d’un quartier peut également se produire de façon plus abrupte lors des grandes opérations d’aménagement urbain, comme lors des Jeux Olympiques de Rio en 2016

La gentrification en tant que phénomène de colonialisme urbain, comme évoqué par Manon Vergerio, “est un phénomène qui participe à la continuité de politiques racistes de l’État, l’effacement de groupes racisés et le recours à la violence policière parrainée par l’État”.

En effet, les personnes les plus vulnérables à la gentrification sont celles qui ont déjà subi d’autres déplacements forcés (migrants ruraux, réfugiés, demandeurs d’asile, personnes déplacées à l’intérieur de leur pays). Pour cette raison, faire le lien entre gentrification et intersectionnalité devient d’autant plus important dans un contexte de crise climatique ou les migrations liées aux catastrophes environnementales entraînent de plus en plus de déplacements forcés.

La notion d’internationalisme radical, développé par Maïka Sondarjee dans son ouvrage “Perdre le Sud, décoloniser la solidarité internationale” se base sur l’idée d’étendre les formes de solidarité qui existent au niveau national à une échelle internationale. Cela passe certe par une redistribution accrue des richesses, mais également par un changement de mentalité. Elle propose par exemple de cesser de prioriser les vies des personnes blanches et / ou occidentales dans les médias lorsque des catastrophes naturelles ont lieu. Son modèle passe enfin par des réformes de fond des relations internationales et du secteur du développement, notamment avec “l’annulation des dettes illégitimes, une plus grande régulation du cours des matières premières et l’adoption de règles de commerce plus équitables.

“Ce n’est pas qu’il y a le capitalisme et il y le racisme systémique, ce n’est pas qu’il y a le capitalisme et il y le colonialisme, il s’agit d’un capitalisme colonial, il s’agit d’un capitalisme racialisé, il s’agit d’un patriarcat racialisé. Pour moi il y a des structures d’oppression, d’exploitation et de dépossession qui se traversent les unes les autres, qui se permettent les unes les autres.”

Maïka Sondarjee dans le podcast Les Echos d’Eco-Habitons