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L’alimentation de demain

La sécheresse et les vagues de chaleur ont atteint des taux records l’été dernier, et ont eu des conséquences dramatiques sur l’agriculture française. Malgré les indemnisations actuellement mises en place par l’Etat pour venir en aide aux producteurs, les températures extrêmes, les sols desséchés et les faibles réserves d’eau ne cessent d’inquiéter et devraient encore s’aggraver en 2023.

Dans cet article, Eco-Habitons revient sur les causes de la crise agro-alimentaire actuelle, et part à la recherche des différentes pistes d’adaptation.

La région lyonnaise le 10 août 2021 vs. le 10 août 2022. // Source : Météo-France

Les défis de l'agriculture actuelle

L’OCDE rend compte dans un rapport du triple défi de l’agriculture : “Nourrir une population en expansion, procurer un revenu aux agriculteurs et protéger l’environnement”. 

  • Le nombre d’habitants sur terre devrait croître de 2 milliards d’ici à 2050, puis atteindre les 11 milliards d’ici la fin du siècle. Cette augmentation aura principalement lieu dans les villes, qui devront héberger 70% de la population mondiale d’ici 2050. La première question consiste donc à savoir comment nourrir la population à venir, d’autant plus avec la hausse des revenus et dans les pays émergents, premiers touchés par l’explosion démographique.  
  • La deuxième question concerne l’industrie agro-alimentaire actuelle, qui représente actuellement 25 % à 30 % de l’emploi à l’échelle mondiale. Si l’on s’accorde aujourd’hui sur le manque de viabilité de cette industrie sur le plan écologique et social, comment mener une transformation radicale du secteur tout en protégeant les travailleurs et les travailleuses ? 
  • L’empreinte écologique du système alimentaire actuel représente également un facteur déterminant à prendre en compte. L’agriculture occupe près de 40% de la superficie terrestre, devant toute autre activité humaine: “L’’irrigation des cultures représente 70 % de l’eau utilisée au niveau mondial, et l’agriculture contribue directement pour environ 23 % aux émissions mondiales de gaz à effet de serre, principalement à cause du bétail”. 

 

Pour faire face à ce triple défi, il faut également faire face au cercle vicieux suivant: pour maintenir l’agriculture intensive, le secteur de l’agrobusiness pratique la déforestation, puis le surpâturage et l’usage de pesticides qui dégradent la qualité des sols. Cela entraîne une production industrielle toujours plus accrue pour subvenir aux besoins de la population en pleine expansion et aux besoins croissants, et dégradant d’autant plus la qualité des terres et des productions. 

Ce paradoxe est renforcé par la mondialisation, qui fait de l’alimentation un véritable enjeu géo-politique, rendant les Etats dépendants de l’exportation des matières premières. Avec la Révolution verte, dans les années 60, on assiste en Asie et en Afrique à la généralisation de variétés de céréales améliorées à haut rendement (riz, blé), la maîtrise de l’approvisionnement en eau, et la généralisation de l’utilisation d’engrais et de pesticides, permettant à la production et aux rendements de doubler en juste 30 ans. 

Malheureusement, le modèle d’agriculture intensive défendu avec la Révolution verte, employant en masse engrais chimiques et irrigation, atteint aujourd’hui ses limites, avec des sols toujours plus pauvres en nutriments et des réserves d’eaux qui s’assèchent. Ce constat est visible dans des pays comme le Maroc, qui souffre plusieurs années successives de sécheresse, et dont les palmeraies sahariennes s’assèchent. Le réchauffement climatique et l’assèchement des réserves d’eau contraignent aujourd’hui les populations de la vallée du Drâa au sud du pays à abandonner certaines cultures consommant beaucoup d’eau, et pour beaucoup à migrer vers les grandes villes du pays.

Aujourd’hui, la sécurité alimentaire se trouve entre les mains des acteurs transnationaux (multinationales, grands groupes de l’industrie agro-alimentaire), et largement influencée par les conflits armés, l’aide humanitaire, l’accaparement des terres, etc. A titre d’exemple, la crise du COVID19 ou le conflit ukrainien ont bien montré les limites de ce système. Les Nations Unies témoignent ainsi : “L’insécurité alimentaire était déjà en hausse avant le déclenchement de la guerre, avec environ 44 millions de personnes au bord de la famine en raison de la COVID-19, des changements climatiques et des conflits. Au total, environ 345 millions de personnes dans 82 pays sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë ou à un risque élevé d’insécurité alimentaire en 2022, soit près de 200 millions de plus qu’avant la pandémie.”.

Comment adapter notre alimentation à la crise ?

Alimentation végétale

Depuis une centaine d’années, 75 % des variétés de plantes cultivées ont disparu d’après les estimations de la FAO. Les légumes restants doivent alors s’adapter aux besoins de rentabilité du marché international. De nombreux pays comptent aujourd’hui sur les OGM (Organismes Génétiquement Modifiés), comme les Etats-Unis, le Brésil, l’Argentine, le Canada et l’Inde, qui représentent à eux seuls 91% du marché. Les OGM représentent cependant un véritable risque, pour la planète comme pour notre santé, et entraînent de nombreux déséquilibres économiques et sociaux. En Europe, même si la culture d’OGM est largement interdite, depuis 2019, sa commercialisation est autorisée pour l’alimentation. Il s’agit essentiellement de maïs, mais aussi de soja, coton, colza, pomme de terre, betterave et micro-organismes (biomasse). 

Cependant, les critiques des pesticides se font de plus en plus entendre. L’exemple le plus controversé d’entre eux est sans doute le glyphosate, substance chimique principalement utilisée dans les produits phytopharmaceutiques destinés à l’agriculture et l’horticulture, et commercialisée par Monsanto. Une étude publiée en 2022 a démontré que cette substance, potentiellement cancérigène, était présente dans la quasi-totalité des urines des français. 

En parallèle, l’agriculture bio (qui exclut les produits phytosanitaires – engrais et pesticides – ainsi que les OGM) est en plein essor, notamment en France ou elle représente 10% des surfaces agricoles utilisées: l’hexagone est d’ailleurs championne européenne de la production biologique. A l’échelle de la planète, le chiffre est néanmoins beaucoup plus bas (1,5%), et nourrir la planète à partir d’une agriculture 100% bio semble être un objectif difficilement atteignable. Néanmoins, pour la revue Nature Communications, cela reste possible, sans hausse de la superficie de terres agricoles et avec des émissions de gaz à effet de serre réduites, à condition de réduire le gaspillage alimentaire et limiter la consommation de produits d’origine animale. 

D’autres modèles de production proposent d’aller encore plus loin, en abordant la question d’un point de vue écologique, mais également économique, sociétal, et culturel, pour réinventer l’imaginaire agricole dans son ensemble. L’agriculture paysanne, par exemple, intègre des valeurs comme l’autonomie, le respect de la nature, et le développement local du territoire. La permaculture, quant-a-elle, entre dans le prolongement de l’agro-écologie et se présente comme “une éthique, une philosophie et une science” visant à prendre soin et respecter le vivant dans son ensemble. C’est aussi un ensemble de pratiques basées sur l’observation, en s’inspirant des écosystèmes naturels.

Schéma de la permaculture au jardin, Jardin des 4 terrasses

Alimentation animale

L’élevage industriel tel que nous le connaissons aujourd’hui représente un véritable danger pour l’environnement. Il est responsable de 15% des émissions de gaz a effet de serre dans le monde, notamment de méthane (50%) produit par les ruminants, et de protoxyde d’azote issu des engrais pour l’alimentation animale (25%). Les 25% restants tiennent du changement d’affectation des terres (déforestation et extension des pâtures) et de l’utilisation d’énergies fossiles. L’élevage nécessite de plus d’énormes quantités d’eau et peut être un poison pour celles-ci : rejet de nitrate, de phosphore ou d’antibiotiques. 

D’après les données de la FAO, la consommation mondiale de viande a été multipliée par près de cinq au cours des soixante dernières années, et devrait encore progresser de 15 % d’ici à 2031. Les risques de pénurie sont donc à prévoir, d’autant plus avec la crise énergétique mondiale dans laquelle nous entrons actuellement. 

Plusieurs solutions sont actuellement en cours de développement pour aller vers une alimentation moins carnée. On trouve par exemple aujourd’hui de plus en plus de “viande végétale” dans de nombreux rayons de supermarchés et restaurants, composés de soja, de légumineuses ou encore de céréales. Si ces dernières se rapprochent étonnamment de la viande en termes de texture et d’apparence, et ont un impact moindre sur l’environnement, on y retrouve cependant de nombreux additifs et aliments ultra transformés. 

Certains laboratoires s’attellent également à l’élaboration de viande de synthèse, en cultivant des cellules musculaires animales pour produire de la viande in vitro, et donc sans induire de souffrance animale ou d’impact négatif sur l’environnement. Néanmoins, peu d’études scientifiques ont véritablement analysé les risques et les dangers potentiels de cette technique. Très souvent,  on ajoute aux cellules des nutriments, parfois des antibiotiques et des fongicides pour prévenir les contaminations extérieures, ainsi que des hormones et facteurs de croissance, dont les effets sur la santé humaine sont encore méconnus à ce jour. 

Il existe cependant des solutions plus sobres, comme l’élevage extensif, allant à l’encontre des objectifs de productivité et de rentabilité du marché actuel. Il s’agit d’un mode d’élevage plus raisonné, plus respectueux de l’environnement car il limite l’utilisation d’intrants, et favorise le bien être animal, avec par exemple l’élevage en plein air.  

Depuis les années 70, avec la prise de conscience écologique, on assiste également à l’expansion du végétarisme, et à la généralisation de nouveaux modes de consommation, comme le flexitarisme, le végétalisme et le véganisme. Aujourd’hui, 5% de la population mondiale serait végétarienne, représentant 375 millions de personnes. Les pays comptant le plus de végétariens étant l’Inde (39%), le Mexique (20%) et le Brésil (14%), la France se classe loin derrière avec seulement 2,2 % de la population ayant adopté un régime sans viande. Les raisons de ces différences statistiques s’expliquent surtout par des facteurs culturels (religions, représentations sociales)  et économiques (prix de la viande, importance de la filière industrielle, etc.).   

Il existe donc une multitude de voies possibles pour nourrir la planète demain, allant de plans de sobriété à des technologies plus futuristes comme l’impression d’aliments en 3D, ou l’utilisation de glycérol pour empêcher leur péremption. Quel que soit le chemin emprunté, les jeunes agriculteurs vont devoir faire preuve de beaucoup de résilience pour faire face aux différents défis qui les attendent.