L’environnementalisme : Quand les politiques écologiques ignorent la diversité sociale

Dans deux précédents articles, nous avons décrits les liens entre différentes inégalités sociales et le dérèglement climatique. Pour prolonger cette réflexion et comprendre comment remédier à ces inégalités, nous avons ensuite réfléchi aux angles morts de l’écologie. En voulant protéger l’environnement, les écologistes peuvent parfois nuire à certaines communautés non pas par malveillance, mais parfois par ignorance. Prenons quelques exemples d’actions écologiques qui viennent empiéter sur les conditions de vie de populations marginalisées

Zoom sur : La pollution lumineuse 

La  pollution lumineuse du bois de Boulogne (Paris) est un cas d’école sur le sujet. Le parti vert (EELV) y est intervenu pour faire éteindre les réverbères la nuit afin de réduire la consommation publique d’électricité et de créer des zones sans lumière pour le bien de la faune et en particulier des oiseaux. De plus, le parti a interdit le stationnement de gros véhicules tels que des bus et camionnettes dans le bois pour protéger le paysage naturel. Ces politiques locales d’apparence inoffensives ont en fait fortement détérioré la sécurité du bois la nuit, notamment pour les travailleur.se.s du sexe. Chaque nuit en effet, le bois abrite des centaines d’hommes, de femmes trans et cisgenres pour beaucoup issu.e.s de l’immigration, qui racolent le long des routes et se prostituent dans des camionnettes ou dans le sous-bois. L’obscurité imposée et l’interdiction de stationner n’a pas mis fin à la prostitution, mais a augmenté le sentiment d’insécurité et les risques d’agressions des travailleur.se.s, sans parler du froid en hiver.

 

Zoom sur : La gentrification 

Le terme gentrification désigne à l’origine le processus de réappropriation par la classe moyenne des quartiers historiquement populaires des villes. Il a d’abord été utilisé par des chercheurs anglo-saxons dans le contexte des villes comme Londres et New York. Le concept a pris de l’importance par-delà ce contexte, pour qualifier les processus d’embourgeoisement qui prennent place dans des contextes variés à travers le monde. Il est également utilisé pour décrire des dynamiques suivant la réhabilitation d’anciens quartiers industriels. Dans sa thèse sur la gentrification à Paris intra-muros, Anne Clerval dénonce l’utilisation plus courante des termes comme régénération, rénovation ou bien renouvellement, qui masquent les questions sociales derrière ces transformations spatiales. À Rio de Janeiro, le terme est souvent utilisé pour décrire les montées de prix des loyers dans les favelas au profit du tourisme. Souvent considéré comme un processus qui s’inscrit sur le temps long, la gentrification d’un quartier peut également se produire de façon plus abrupte lors des grandes opérations d’aménagement urbain, comme lors des Jeux Olympiques de Rio en 2016.

Les plans de réhabilitation de quartiers pour en faire des lieux plus verts et aux bâtiments moins énergivores, peuvent également être le théâtre de préjudices liés à la gentrification.

 

La gentrification en tant que phénomène de colonialisme urbain, comme évoqué par Manon Vergerio, “est un phénomène qui participe à la continuité de politiques racistes de l’État, l’effacement de groupes racisés et le recours à la violence policière parrainée par l’État”.

En effet, les personnes les plus vulnérables à la gentrification sont celles qui ont déjà subi d’autres déplacements forcés (migrants ruraux, réfugiés, demandeurs d’asile, personnes déplacées à l’intérieur de leur pays). Pour cette raison, faire le lien entre gentrification et intersectionnalité devient d’autant plus important dans un contexte de crise climatique ou les migrations liées aux catastrophes environnementales entraînent de plus en plus de déplacements forcés.

Zoom sur: La voiture électrique

Il est exact de dire que le secteur des transports est très consommateur d’énergie et très émetteur de gaz à effet de serre (GES). Après de nombreuses tergiversations scientifiques, la voiture électrique émettrait 2 à 3 fois moins de CO2 selon l’ADEME, ce qui contredit les précédentes études à ce sujet. La France s’est engagée lors des Accord de Paris pour le climat en 2015, à ne pas dépasser ses quotas d’émissions de pollution en particule fine. L’un des moyens plébiscité politiquement est d’encourager les ménages à changer de véhicule pour une voiture “verte” ou souvent appelée “zéro émission”.

Voiture électrique = zéro émission ?
La solution politique d’encourager la voiture électrique, à travers le développement de bornes de recharge gratuites en ville ou d’aides à la conversion du véhicules thermiques, se focalise sur une seule variable : réduire les GES émises en France, en particulier dans nos villes, lors de son utilisation. Certes l’utilisation, de l’achat à la casse, d’une voiture électrique est moins émettrice de CO2. Mais est-elle vraiment plus écologique ? Est-elle plus durable ?

Une voiture peut-elle être écolo ?
Parler de “zéro émission” pour la voiture électrique revient à se rendre aveugle au cycle de vie total du véhicule, des matériaux mobilisés pour sa construction à sa destruction finale. Les constructeurs automobiles qui équipent leurs véhicules de lourdes batteries augmentent la pression sur le marché des métaux rares. Ces métaux rares partent donc dans des batteries à usage individuel et non collectif, alors même que l’on sait déjà que ces matériaux seront indispensables pour stocker les surplus d’énergie issues de sources renouvelables et ainsi assurer une continuité de l’offre tout au long de la journée. On parle ici de batteries de 300 kg (Renault Zoé) à plus de 600 kg pour une Tesla.

Une voiture électrique génère presque autant de carbone qu’un diesel si l’on prend en compte les métaux rares. L’extraction des matériaux utilisés pour ces batteries est réalisée principalement par des entreprises multinationales dont les sièges sociaux se situent souvent en Amérique ou en Europe, plus récemment en Asie. Elles développent des filiales au sein de pays défavorisés qui misent sur l’exploitation de leurs ressources dites naturelles pour constituer des ressources fiscales. En réalité, les contrats d’extraction penchent très souvent en défaveur du pays exploité et n’assurent guère des projets de développement économiques viables et durables sur le long terme, qui bénéficient à la majorité de la population. De nombreuses enquêtes d’ONG ont permis de démontrer que l’exploitation des ressources naturelles, sur tous les continents, mènent à des violation des droits humains et à la destruction permanente de l’environnement. Elles créent également un climat de tension social qui alimente l’instabilité politique chronique déjà favorisée par les politiques d’ingérence des pays réceptionneurs de matières. En détruisant l’environnement durablement, l’extractivisme altère l’économie locale souvent basée sur des cultures agricoles traditionnelles et de l’élevage. A travers le monde, le nombre de luttes dites “éco territoriales” liées à des projets extractivistes ne cessent d’augmenter et représentent désormais la moitié des luttes sociales (cf la carte des conflits pour la justice sociale)

La voiture électrique est une solution typique du développement durable à l’occidentale. C’est une solution aveugle aux désastres provoqués en amont de la chaîne de valeur. C’est une solution facile car elle évacue les problématiques de fonds qui ne touchent pas directement le consommateur final. Il s’agit donc d’une solution située : elle s’adresse à une certaine population qui a les moyens de se s’offrir un produit “vert”, qui souhaite agir pour l’environnement (une minorité). En revanche, elle fait peser le poids de cet acte “écologique” sur d’autres fragments de la population mondiale (une majorité) accentuant ainsi un développement durable à deux vitesses.

Tous ces exemples où le bonheur écologique des uns (privilégié.e.s) fait le malheur des autres (à l’intersection des discriminations) sont une manifestation de ce que Malcom Ferdinand appelle l’environnementalisme.
Dans son ouvrage Une écologie décoloniale, ce politologue et ingénieur en environnement définit l’environnementalisme comme “l’ensemble des mouvements et courants de pensée qui tentent de renverser la valorisation verticale de la fracture environnementale sans toucher à l’échelle de valeurs horizontale, c’est-à-dire sans remettre en cause les injustices sociales, les discriminations de genre et dominations politiques (…)” En d’autres termes, les mouvances environnementalistes critiquent la domination de l’homme sur la nature sans prendre en compte les formes de dominations qui existent au sein de la société humaine.

Cet article est le troisième d’une série d’articles sur l’importance de prendre en compte les enjeux sociaux intersectionnels dans les conversations écologiques. Cette série est rédigée par les membres de l’association Eco-Habitons qui vise à promouvoir la diversité des discours et des pratiques écologiques. N’hésitez pas à commenter nos travaux et à nous contacter si vous avez des questions, critiques, ou voulez en apprendre davantage sur nos activités et nous rejoindre !